ETAT DES YEUX | Printemps 2020 | Confinement
samedi 04 avril 2020
Germaine Richier
Samedi 4 Avril 2020
BILLET (DE BONNE) HUMEUR
(Faut pas croire)
... Et je vous épargnerai la série avec ses RV du Soir Bonsoir Espoir... Ne me remerciez pas !
Tout le monde nourrit les pensées de tout le monde en ce moment, mais l'appétit s'épuise et s'inverse. On veut fermer la bouche, mais ça rentre par les oreilles, de gré ou de force. Je me demande où l'on pourrait trouver un refuge où pouvoir jeûner un peu, laisser s'essorer le corps de tous les allègres postillons virtuels. La littérature est partout dans la moindre pore , pastille effervescente sur la langue, elle fait crisper les yeux. On nous dessine le virus, on le microscopiste, on le fait migrer en 4 D, et en clips, il est omniprésent, stroboscopique, comme un excès de poivre dans les aliments.
Au début, on reste un peu polis. On dit - Non Merci ! J'ai ma dose aujourd'hui ... Mais on insiste, on nous veut du bien à distance, sans fournir la notice d'utilisation et les recommandations sur les effets secondaires. Peuple enfermé d'oies civilisées mais chacune a sa cage , son champ de manoeuvre utilitarisé, enfin presque... dehors les hélicos surveillent... Apocalypse now sans les haut-parleurs ...
Mais moi je préfère regarder les moineaux en pensant au balcon grillagé de Jeremy Liron qui peint sur des boîtes de cracottes ou d'autre chose ( on ne voit plus la marque...).
Envie furieuse de visions intérieures à paysages sans limites entre l'eau et le ciel, la langue de terre et l'horizon. Alors je me recouche un moment et je rêve... Mais le confinement imprime des scénarios de cabanes et d'exodes, de maisons percutées de plein fouet par l'insécurité ambiante. Je les chasse elles aussi au réveil et je regarde autour de moi. Je suis seule un moment et je me nourris moi-même comme les moineaux du balcon, graine après graine, lentement, en guettant les prédateurs.
Je n'ai plus envie de dormir, un rayon de soleil prêche pour la tendresse. Je la cueille en silence dans mon coeur qui bat tout sauf la chamade. Je me sens vide et loin de tout. Et j'écoute ( un peu) Wagner en sourdine...
Avec Georges SEFERIS
La maison près de la mer [ Extrait]
[....]
Je ne sais pas grand chose des maisons :
Je sais qu'elles ont leur caractère voilà tout.
Neuves au début, comme les petits enfants
Qui jouent dans les jardins avec les franges du soleil,
Elles brodent des persiennes de couleur et des portes
Etincelantes sur le jour.
Quand l'architecte a fini, elles s'altèrent,
Elles se rident, ou sourient, ou encore s'irritent
De ceux qui sont restés, de ceux qui sont partis
Et de ceux qui reviendraient s'ils le pouvaient,
Ou qui ont disparu, maintenant que le monde
Est devenu une immense hôtellerie.
Je ne sais pas grand chose des maisons
Je me rappelle leur joie et leur tristesse
Parfois quand je m'arrête;
aussi
Parfois près de la mer, dans des chambres nues,
Sur un lit de fer, sans rien qui m'appartienne,
En regardant l'araignée du soir, je me dis
Que quelqu'un s'apprête à venir, qu'on le pare
D'habits blancs et noirs, de bijoux de toutes les couleurs,
Et qu'autour de lui à voix basse
Parlent des femmes de grande dignité,
Cheveux gris et sombres dentelles -
Qu'il s'apprête à venir me dire adieu, [...]
Tu sais les maisons s'irritent facilement
Quand on les dépouille
Livre de bibliothèque offert par un ami écrivain. 1963
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